Nous interviewions Amélie Nothomb le 20 août dernier. C’est ce jour-là, précisément, que sortait son livre Tant mieux. Il raconte sa mère, l’absolu optimisme qui la caractérisait, et le lien qui les unissait toutes les deux. "Elle était merveilleuse”, nous a répété l’auteure belge, heureuse mais anxieuse à l’idée d’offrir son nouveau roman au monde.
Ça y est, Tant mieux est sorti ! Comment vous sentez-vous aujourd'hui ? Après ces dizaines de livres publiés, avez-vous encore des appréhensions ?
"Ah oui, il y a même de plus en plus d’appréhension à mesure des parutions. Et ce livre en question est en plus tellement particulier. Il s’agit d’un livre sur ma mère. J’ai l’impression de lui rendre la vie. Donc, vous imaginez : là, je suis au comble de l’émotion, avec un mélange de ferveur, d’angoisse…"
Pourquoi avoir attendu le décès de votre maman pour parler d'elle ? Avant ça, quelque chose vous en empêchait ?
"Avant la mort de mes parents, je n'aurais même jamais songé à écrire sur eux. Ils existaient, ils étaient là. C'était tellement merveilleux. C'est le manque, le choc de leur disparition qui m'a créé ce désir que je n'avais jamais eu auparavant."
Vous diriez que Tant mieux est un hommage à votre mère ?
"C'est beaucoup plus que ça. Ma mère était une femme exceptionnelle. Mon père aussi était un homme extraordinaire, mais quand il est mort il y a cinq ans, nous avons reçu énormément de témoignages. Quand ma mère est partie il y a un peu plus d’un an, personne n'a parlé d'elle. Ça a été le grand silence. Et cela m’a rendue profondément triste. Évidemment, mon père était un héros. Mais à mes yeux, femme de héros, c’est un rôle très grand aussi. Avec ce livre, je voulais lui rendre justice."
"Je suis d’une nature sombre : c’est ma mère qui m’a transmis l’optimisme"
Ce lien à votre mère, si fusionnel, a-t-il déterminé votre propre rapport à la maternité ?
"Si j’étais devenue mère, j’aurais dû faire au moins aussi bien qu’elle. Et j’en aurais été bien inca - pable. Ma mère a placé la barre beaucoup trop haut. Mais je ne l’ai pas mal vécu. Ça ne m’a jamais démangée d’avoir des enfants. Par ail - leurs, comme vous pouvez le remarquer, j'ai un très grand nombre d'enfants de papier. Je suis une mère de famille très nombreuse ! (rires)".
SA BIO
Au fil des pages, on apprend que votre mère était une "Madame Tant mieux”. Qu’est-ce que cela signifie ?
"C’est une dame qui voit toujours le bon côté des choses. La philosophie du Tant mieux, c'est l'optimisme paradoxal. Parce que tout va mal, on décide qu'on va s'en sortir. Dans le chaos, il n'y aurait pas d'autre choix que d'aller vers quelque chose de plus lumineux. Ma maman avait cette force, déjà à l’âge de quatre ans, lorsqu’elle a dû aller vivre seule chez sa monstrueuse grand-mère, qui la persécutait. Toute petite, elle s’est dit : ‘Bon, personne ne va venir me sauver, donc il faut que je me sauve toute seule.’ Et elle a inventé la philosophie 'Tant mieux'. C'est prodigieux."
"Tout est vrai dans ce livre : ma grand-mère était une serial-killeuse de chats !"
Êtes-vous, vous aussi, une "Madame Tant mieux”?
"Oui, sauf que chez moi, c’est arrivé plus tard. C’est l’influence de ma mère qui m’a rendue comme ça. Il y a du ‘Tant mieux’ en moi, mais j'ai envie de dire qu'il est de seconde main (rires). Je suis d’une nature très sombre, donc ça me demande un effort pour percevoir le bon côté de la vie."
Comment s'est passé le processus d'écriture de ce roman si particulier ?
"Ça a été très difficile. Comme j'ai fait le même exercice avec mon père il y a trente ans, je me suis dit que la justice serait que je fasse la même chose avec ma mère. Mais ce n'était pas possible parce que mes relations avec mon père étaient très différentes. Par exemple, cette fois, je n’ai pas réussi à écrire le livre à la première personne du singulier. Mais écrire ce livre fut une expérience incroyable. Je me souviens que quand je rédigeais, je ne voulais plus que ça s’arrête. Écrire sur ma maman la rendait vivante. Mais quand j'ai arrêté de rédiger, j’ai réalisé qu’elle était toujours vivante quelque part de toute façon."
Que pensait votre mère de vos écrits ?
"Le plus grand bien ! Ma mère m’a défendue de manière si belle auprès des membres de ma famille, qui étaient tous scandalisés et voulaient que ma mère me remette à ma place. Un jour, elle a eu cette réponse absolument magnifique et grandiose : ‘Mais je vous comprends. Personne ne voudrait avoir un Caravage chez soi.’ C’était un très grand compliment que de me comparer à un Caravage. Et en même temps, elle allait dans le sens de la famille."
Dans le livre, on découvre que votre mère entretenait un rapport particulier avec les chats. Vous pensez que les animaux ont le pouvoir de nous aider à affronter les événements douloureux ?
"Les animaux appliquent tous le ‘Tant Mieux’ sans même le savoir. On ne peut pas exclure que ce soit la fascination de ma mère, toute petite, pour le chat de sa grand-mère qui lui ait inspiré cette philosophie."
Vous avez un rapport particulier avec les animaux ?
"J'ai un rapport très particulier avec les oiseaux. Je pense que chaque personne a un animal totémique. Le mien, c’est l’oiseau. Plus particulièrement la chouette. Quand j'entends le cri de la chouette, je suis absolument bouleversée. J'ai mon cœur qui se serre, j'ai l'impression d'une reconnaissance. Je pense que dans une vie antérieure, j'ai dû en être une."
Tout est vrai dans ce livre ?
"Tout, absolument tout, je vous jure ! Je n'aurais jamais pu inventer des choses pareilles. Oui, oui, ma grand-mère était vraiment une serial-killeuse de chats !"
Pensez-vous qu'on puisse lire vos romans dans le désordre ?
"Complètement. C'est ce que font d’ailleurs la plupart des gens, puisqu’ils ont commencé à me lire avec Stupeur et tremblements, qui n’est pas mon premier livre mais bien mon premier bestseller. On peut même commencer par mon dernier !"
À qui conseilleriez-vous ce nouveau roman ?
"Vraiment, à tout le monde. Parce que, quelle que soit la culture, quel que soit l’âge, on a tous, définitivement, besoin du ‘Tant mieux’. Encore davantage en 2025. Je ne vous l'apprends pas, nous vivons une époque difficile. Cela demande beaucoup de courage d'adopter l’optimisme. Et je le précise, c'est un courage en dépit de la raison. Il ne s’agit pas de voir une lumière à l’horizon. Il s’agit de ne pas en voir et de se dire que ce n’est pas grave malgré tout. Que c’est tant mieux quand même."
Est-ce que vous avez l'impression de clore un chapitre en parlant de votre mère ou justement d'en ouvrir un ?
"Vous savez, je suis toujours en train d’écrire, donc je ne me pose jamais ce genre de questions. Quand on écrit tant que ça, on ne sait pas si on ouvre des chapitres ou si on en clôt."
AMÉLIE ET LA LECTUREVous lisez toujours beaucoup au quotidien ?
"Je lis énormément. Je pense que, de la même manière qu’un cuisinier adore manger, un écrivain adore lire !"
Comment choisissez-vous vos livres?
"Je suis une grande gourmande. Quand on va dans une pâtisserie, on regarde les gâteaux et on voit tout de suite ceux qu’on a envie de dévorer. En librairie, c’est la même chose ! Dès que je commence à saliver devant une couverture ou une quatrième de couverture, je me dis que c’est pour moi."
Que disent les gens qui vous croisent en librairie ?
"Ils me disent : ‘Oh, vous ressemblez à Amélie Nothomb’. Et je réponds ‘Oui, on me dit ça tout le temps'."
Votre dernier coup de cœur ?
"Kolkhoze, le nouveau livre d'Emmanuel Carrère, qui aborde les mêmes thèmes que moi mais de façon très différente. Ce livre m’a éblouie."
Le livre qui vous a donné goût à la lecture petite ?
"Comme tous les enfants belges, j’ai appris à lire avec Tintin. Une très belle lecture pour tous les âges de la vie."